Il y a des saveurs qui racontent une histoire, des plats qui, au-delà de la recette, portent en eux les échos d’un territoire, les rires d’une cuisine familiale, l’odeur d’un printemps en Aubrac. Le Pounti est de ceux-là. Mystérieux mélange de sucré et de salé, ce gâteau rustique originaire du Massif central — et plus précisément du nord de l’Aveyron, du Cantal et de la Lozère — incarne une tradition ancestrale aussi généreuse qu’étonnante. Et si vous n’avez jamais goûté à cette étrange douceur aux herbes, pruneaux et lardons… il est temps de vous laisser surprendre.
Le Pounti : entre campagne et simplicité
Le Pounti (ou parfois « Pounti auvergnat ») est un plat du « pays », c’est-à-dire de ces zones oubliées des guides touristiques mais où l’on vit encore au rythme des saisons. Longtemps cuisiné dans les campagnes pour revaloriser les ingrédients disponibles à la ferme, il peut sembler aux premiers abords déroutant : imaginez un pain de viande verdoyant, ponctué de petits éclats de pruneaux moelleux. Un dessert ? Non. Un plat ? Pas tout à fait. Un entre-deux, comme un après-midi de printemps qui hésite entre la brise fraîche et le soleil tiède.
Dans les fermes du haut plateau de l’Aubrac, où l’herbe semble chanter sous les sabots des vaches, le Pounti réunissait les restes de charcuterie, les œufs frais pondus du jour et les légumes du potager. C’est l’exemple parfait de la cuisine paysanne : ingénieuse, nourrissante et profondément liée à son terroir.
Une recette transmise de bouche à oreille
Ce qui fait toute la beauté du Pounti, c’est sa capacité à traverser le temps sans jamais se figer. Chaque famille, chaque village a sa version. Ginette, rencontrée au marché de Mur-de-Barrez un matin d’automne, me confiait à demi-voix sa formule secrète : « Trois œufs, un peu plus de lait que d’habitude et surtout… du persil frisé. Pas plat, jamais ! »
Car oui, dans le Pounti, les herbes sont reines. A l’ombre des boulangers et des restaurateurs, ce sont elles qui insufflent au plat sa fraîcheur et sa couleur. Le persil, évidemment, mais aussi la bourrache, l’oseille ou les fanes de blettes, selon la saison.
Ajoutez à cela du lard paysan, des oignons doucement fondus à la poêle et, bien sûr, les pruneaux, doucement sucrés, qui chavirent la recette dans une poésie inattendue. C’est peut-être là que réside le charme du Pounti : dans cette hésitation entre deux mondes, entre la forêt et le verger.
Ingrédients et préparation du Pounti traditionnel
Voici une version classique du Pounti, telle que transmise par une grand-mère cantalienne il y a quelques années, lors d’un déjeuner à la ferme :
- 200 g de farine de blé (ou un mélange avec de la farine de sarrasin pour plus de rusticité)
- 3 œufs
- 1/2 litre de lait
- 150 g de lardons ou de reste de jambon
- 1 gros oignon
- 1 bouquet de persil, de ciboulette et/ou d’oseille
- 200 g de pruneaux dénoyautés
- Sel, poivre, muscade
Préparation :
- Faites revenir l’oignon émincé avec les lardons jusqu’à légère coloration.
- Dans un grand saladier, battez les œufs avec la farine. Ajoutez progressivement le lait pour éviter les grumeaux.
- Ajoutez ensuite les herbes finement ciselées, le mélange oignon-lardon, les pruneaux, le sel, le poivre et une pointe de muscade.
- Versez le tout dans un moule à cake beurré et enfournez à 180°C pour environ 45 minutes.
Son parfum va peu à peu envahir la cuisine… Une odeur douce, presque nostalgique, qui évoque les tablées familiales du dimanche. Et lorsqu’à la découpe, les pruneaux apparaissent comme des pierres précieuses sombres entre les éclats de vert, on comprend qu’on tient là bien plus qu’un « gâteau salé ».
Comment déguster le Pounti ?
Autre charme du Pounti : sa polyvalence. Il se mange tiède ou froid, seul avec une salade verte à l’ail, en trame chaude d’un pique-nique sous les hêtres en Lozère, ou même poêlé au beurre pour le brunch des lendemain de fête. Certains le servent en entrée, d’autres l’intègrent dans un menu végétarien, tandis que les puristes l’apprécient tel quel, sans accompagnement, pour ne pas pervertir la recette.
Un restaurateur de Saint-Flour m’a confié un secret des jours d’hiver : « Froid avec une moutarde forte et une bière locale, c’est un repas parfait. » Et on ne peut qu’acquiescer…
Une identité culinaire en héritage
Ce qui fascine avec le Pounti, c’est qu’il exprime à lui seul toute une culture, un rapport au monde où rien ne se jette, où chaque ingrédient a sa place. Dans le Massif central, la terre n’oublie pas – tout comme les habitants. Les recettes sont des fils d’Ariane entre les générations. Elles ne se lisent pas, elles se racontent, à la veillée, sur les bancs en pierre, entre deux cueillettes de champignons.
La renaissance du Pounti dans les cuisines modernes, porté par des cheffes audacieuses ou des producteurs de circuits courts, confirme sa pertinence aujourd’hui. Il n’est plus uniquement un témoignage du passé : il devient une réponse contemporaine à la quête d’authenticité, de simplicité, de racines.
Où goûter un vrai Pounti ?
Pour celles et ceux qui ne souhaitent pas s’aventurer immédiatement aux fourneaux, quelques adresses authentiques méritent le détour. Ainsi, à Laguiole, la boulangerie Delmas propose encore un Pounti traditionnel, cuit au feu de bois. À Saint-Côme-d’Olt, chez Marie-Thérèse, le Pounti est servi avec une salade de mâche et un filet d’huile de noix. Et si le cœur vous en dit, poussez vers Chaudes-Aigues : lors du petit marché du samedi matin, un petit stand de producteurs bio propose un Pounti au chèvre fermier… une revisite étonnante et délicieuse.
Partout, l’accueil est le même : chaleureux, peut-être un peu bourru, mais sincère. On ne vient pas seulement acheter un plat, mais un peu de cette âme montagnarde, de ce lien avec la terre et le silence.
Un plat entre poésie et terroir
En redescendant les routes sinueuses du plateau de l’Aubrac, un petit morceau de Pounti encore dans la poche, on se surprend à sourire. C’est peut-être ça, le véritable luxe : découvrir, au détour d’un plat simple, l’intimité d’un territoire. Le Pounti n’est pas seulement à manger ; il est à vivre, à comprendre, à transmettre. Il parle de saisons, de gestes lents, de mains qui savent et de becs qui savourent.
Le jour où vous le cuisinerez à votre tour, pensez aux montagnes du Cantal, aux enfants qui courent dans l’herbe avec une ardoise pleine de mûres, aux anciens qui, un œil rieur sous le béret, vous diront : « Il est bon ton Pounti, mais le mien… »
Et c’est justement là toute la magie.